Lot n° : 1838 | Estimation : 4000 - 5000€
SADE (Donatien-Alphonse-François, comte de, dit Marquis de). Les 120 Journées de Sodome ou l'École du Libertinage. Publié pour la première fois d'après le manuscrit original, avec des annotations scientifiques par le Dr. Eugène DÜHREN. Paris, Club des bibliophiles, 1904.
Grand in-8 (27 x 19 cm) de [4] ff., 543-[1] pp. Bradel demi-vélin ivoire moderne, dos muet.
Très rare édition originale tirée à 200 exemplaires. Exemplaire non justifié, sur Japon, du Dr DÜHREN (pseudonyme d'Iwan Bloch, célèbre sexologue allemand), avec son ex-libris manuscrit au faux-titre (5 janvier 1905).
Il manque les pages 65 à 96, 129 à 132, 141 à 144, 353 à 368, 401 à 416 et 433 à 512 (remplacées par des feuillets blancs). Pages 145, 193, 369, 385, 400 salies.
Avec à la fin du livre une page du fac-similé de l'écriture du marquis de Sade "Extrait du manuscrit original "Les 120 journées de Sodome" et les notes de l'éditeur.
Y est joint un portrait du marquis de Sade d'après une lithographie de 1829.
Exemplaire donné par Nancy CUNARD à Georges SADOUL en 1962. Avec une notice manuscrite de 5 pages (de la main de Nancy Cunard) donnant le détail de l'édition et l'explication des pages manquantes, la maison de Nancy Cunard à la Chapelle Réanville en Normandie, ayant été occupée par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale. Ces pages se terminent par une nouvelle petite note explicative sur cet exemplaire de la main de Mme Sadoul.
Nancy Clare Cunard (1896-1965), écrivaine, rédactrice en chef, éditrice, militante politique, anarchiste et poétesse anglaise. Elle s'inscrit contre les valeurs de sa famille aisée et consacre la plus grande partie de sa vie à lutter contre le racisme et le fascisme. Grande collectionneuse d'art africain, elle est la muse de nombreux écrivains et artistes des années 1920 et 1930.
On y joint la première édition intégrale et complète à savoir : Les 120 Journées de Sodome, édition critique, établie par Maurice HEINE. Paris, par S. & C., aux dépens des bibliophiles souscripteurs, 1931-1935.
3 volumes in-4 brochés, couv. imprimées rempliées, sous chemises et étui commun en cartonnage noir moderne. Avec son prospectus. Reproduction du rouleau gravée en frontispice. Tirage à 396 exemplaires ; n°161 des 300 sur vélin de Rives à la forme.
Les Cent Vingt Journées de Sodome, ou l'École du libertinage est la première grande œuvre du marquis de Sade, écrite à la prison de la Bastille en 1785 ; perdue par l'auteur en 1789, elle reste inachevée (voire "inachevable" selon Michel Delon).
Dans son essai La Littérature et le Mal (1957), Georges Bataille considère que ce livre paroxystique nous place devant l'excès absolu, l'insupportable : "Personne à moins de rester sourd n'achève les Cent Vingt Journées que malade […] Celui qui écrivait ces pages aberrantes le savait, il allait le plus loin qu'il est imaginable d'aller".
L'ouvrage rédigé sous forme de journal divisé en quatre parties, narrent les aventures de quatre aristocrates ("dont la fortune immense est le produit du meurtre et de la concussion") vers la fin du règne de Louis XIV, enfermés en plein hiver dans un château perdu de la Forêt-Noire, le château de Silling, avec quarante-deux victimes soumises à leur pouvoir absolu : leurs épouses (chacun a épousé la fille de l'autre) et de jeunes garçons et jeunes filles ravis à leurs parents. Quatre proxénètes "historiennes", se succédant de mois en mois, font le récit de six cents perversions, à raison de cent cinquante chacune, que les maîtres du château mettent souvent en pratique à l’instant même. La plupart des victimes périssent dans d’épouvantables tourments.
Afin d’éviter la saisie de l’ouvrage, Sade, enfermé à la Bastille, met au net et recopie à partir de brouillons le texte des Cent Vingt Journées sur les deux faces d’un rouleau de papier mince de 12,10 mètres de long sur 11,5 centimètres de large, composé de petites feuilles de 12 centimètres de largeur collées bout à bout. "Toute cette grande bande a été commencée le 22 octobre 1785 et finie en trente-sept jours", inscrit-il sur son rouleau.
Il ne s'agit que d'un premier jet incomplet comme l'indiquent les nombreuses notes et recommandations pour la version complète et définitive que Sade ajoute dans son texte. Jean-Jacques Pauvert imagine dans son Sade vivant que le rouleau a été dissimulé durant quatre ans dans un des étuis à flacon, ou "prestiges" (des godemichés camouflés que Sade faisait confectionner par sa femme).
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789, parce qu’on craignait la présence de ce prisonnier qui, s'aidant d'un porte-voix improvisé, essayait d'ameuter la foule massée au pied des murailles, il fut enlevé et transféré à l'hospice de Charenton. Force lui fut alors d’abandonner dans sa prison toutes ses affaires personnelles et ce manuscrit, avec d’autres. La forteresse ayant été prise, pillée et démolie, Sade ne retrouva ni le manuscrit, ni les brouillons. La perte d’un tel ouvrage lui fit, ainsi qu'il l'écrit, verser des "larmes de sang".
Gilbert Lely a reconstitué l’itinéraire du manuscrit qui a été trouvé dans la chambre même du marquis, à la Bastille, par Arnoux de Saint-Maximin. Il devient la propriété de la famille de Villeneuve-Trans, qui le conserve pendant trois générations. À la fin du XIXe siècle, il est vendu à un psychiatre berlinois Iwan Bloch, qui publie, en 1904, sous le pseudonyme d’Eugène Dühren, cette première version comportant de nombreuses erreurs de transcription.
En 1929, Maurice Heine, mandaté par le célèbre couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles — cette dernière étant une descendante du marquis — rachète le manuscrit et en publie, de 1931 à 1935, une édition en trois grands volumes (limitée aux « bibliophiles souscripteurs » pour éviter la censure) qui, en raison de sa qualité, doit être considérée comme la seule véritablement originale. Le manuscrit connaît par la suite de nombreuses péripéties et changements de propriétaires avant d'être acquis par l'État français en 2021.
Très rare exemplaire avec une intéressante triple provenance : Dr Dürhen, Nancy Cunard puis Georges Sadoul.
Le triste destin de cet exemplaire des 120 journées de Sodome maltraité et amputé par les nazis fait curieusement écho à l'adaptation cinématographique de Pasolini "Salo ou les 120 journées de Sodome" (1975), transposant le roman dans une villa du lac de Garde en 1943.
Lot n° : 1838
Adjuge : 3600 €
SADE (Donatien-Alphonse-François, comte de, dit Marquis de). Les 120 Journées de Sodome ou l'École du Libertinage. Publié pour la première fois d'après le manuscrit original, avec des annotations scientifiques par le Dr. Eugène DÜHREN. Paris, Club des bibliophiles, 1904.
Grand in-8 (27 x 19 cm) de [4] ff., 543-[1] pp. Bradel demi-vélin ivoire moderne, dos muet.
Très rare édition originale tirée à 200 exemplaires. Exemplaire non justifié, sur Japon, du Dr DÜHREN (pseudonyme d'Iwan Bloch, célèbre sexologue allemand), avec son ex-libris manuscrit au faux-titre (5 janvier 1905).
Il manque les pages 65 à 96, 129 à 132, 141 à 144, 353 à 368, 401 à 416 et 433 à 512 (remplacées par des feuillets blancs). Pages 145, 193, 369, 385, 400 salies.
Avec à la fin du livre une page du fac-similé de l'écriture du marquis de Sade "Extrait du manuscrit original "Les 120 journées de Sodome" et les notes de l'éditeur.
Y est joint un portrait du marquis de Sade d'après une lithographie de 1829.
Exemplaire donné par Nancy CUNARD à Georges SADOUL en 1962. Avec une notice manuscrite de 5 pages (de la main de Nancy Cunard) donnant le détail de l'édition et l'explication des pages manquantes, la maison de Nancy Cunard à la Chapelle Réanville en Normandie, ayant été occupée par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale. Ces pages se terminent par une nouvelle petite note explicative sur cet exemplaire de la main de Mme Sadoul.
Nancy Clare Cunard (1896-1965), écrivaine, rédactrice en chef, éditrice, militante politique, anarchiste et poétesse anglaise. Elle s'inscrit contre les valeurs de sa famille aisée et consacre la plus grande partie de sa vie à lutter contre le racisme et le fascisme. Grande collectionneuse d'art africain, elle est la muse de nombreux écrivains et artistes des années 1920 et 1930.
On y joint la première édition intégrale et complète à savoir : Les 120 Journées de Sodome, édition critique, établie par Maurice HEINE. Paris, par S. & C., aux dépens des bibliophiles souscripteurs, 1931-1935.
3 volumes in-4 brochés, couv. imprimées rempliées, sous chemises et étui commun en cartonnage noir moderne. Avec son prospectus. Reproduction du rouleau gravée en frontispice. Tirage à 396 exemplaires ; n°161 des 300 sur vélin de Rives à la forme.
Les Cent Vingt Journées de Sodome, ou l'École du libertinage est la première grande œuvre du marquis de Sade, écrite à la prison de la Bastille en 1785 ; perdue par l'auteur en 1789, elle reste inachevée (voire "inachevable" selon Michel Delon).
Dans son essai La Littérature et le Mal (1957), Georges Bataille considère que ce livre paroxystique nous place devant l'excès absolu, l'insupportable : "Personne à moins de rester sourd n'achève les Cent Vingt Journées que malade […] Celui qui écrivait ces pages aberrantes le savait, il allait le plus loin qu'il est imaginable d'aller".
L'ouvrage rédigé sous forme de journal divisé en quatre parties, narrent les aventures de quatre aristocrates ("dont la fortune immense est le produit du meurtre et de la concussion") vers la fin du règne de Louis XIV, enfermés en plein hiver dans un château perdu de la Forêt-Noire, le château de Silling, avec quarante-deux victimes soumises à leur pouvoir absolu : leurs épouses (chacun a épousé la fille de l'autre) et de jeunes garçons et jeunes filles ravis à leurs parents. Quatre proxénètes "historiennes", se succédant de mois en mois, font le récit de six cents perversions, à raison de cent cinquante chacune, que les maîtres du château mettent souvent en pratique à l’instant même. La plupart des victimes périssent dans d’épouvantables tourments.
Afin d’éviter la saisie de l’ouvrage, Sade, enfermé à la Bastille, met au net et recopie à partir de brouillons le texte des Cent Vingt Journées sur les deux faces d’un rouleau de papier mince de 12,10 mètres de long sur 11,5 centimètres de large, composé de petites feuilles de 12 centimètres de largeur collées bout à bout. "Toute cette grande bande a été commencée le 22 octobre 1785 et finie en trente-sept jours", inscrit-il sur son rouleau.
Il ne s'agit que d'un premier jet incomplet comme l'indiquent les nombreuses notes et recommandations pour la version complète et définitive que Sade ajoute dans son texte. Jean-Jacques Pauvert imagine dans son Sade vivant que le rouleau a été dissimulé durant quatre ans dans un des étuis à flacon, ou "prestiges" (des godemichés camouflés que Sade faisait confectionner par sa femme).
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789, parce qu’on craignait la présence de ce prisonnier qui, s'aidant d'un porte-voix improvisé, essayait d'ameuter la foule massée au pied des murailles, il fut enlevé et transféré à l'hospice de Charenton. Force lui fut alors d’abandonner dans sa prison toutes ses affaires personnelles et ce manuscrit, avec d’autres. La forteresse ayant été prise, pillée et démolie, Sade ne retrouva ni le manuscrit, ni les brouillons. La perte d’un tel ouvrage lui fit, ainsi qu'il l'écrit, verser des "larmes de sang".
Gilbert Lely a reconstitué l’itinéraire du manuscrit qui a été trouvé dans la chambre même du marquis, à la Bastille, par Arnoux de Saint-Maximin. Il devient la propriété de la famille de Villeneuve-Trans, qui le conserve pendant trois générations. À la fin du XIXe siècle, il est vendu à un psychiatre berlinois Iwan Bloch, qui publie, en 1904, sous le pseudonyme d’Eugène Dühren, cette première version comportant de nombreuses erreurs de transcription.
En 1929, Maurice Heine, mandaté par le célèbre couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles — cette dernière étant une descendante du marquis — rachète le manuscrit et en publie, de 1931 à 1935, une édition en trois grands volumes (limitée aux « bibliophiles souscripteurs » pour éviter la censure) qui, en raison de sa qualité, doit être considérée comme la seule véritablement originale. Le manuscrit connaît par la suite de nombreuses péripéties et changements de propriétaires avant d'être acquis par l'État français en 2021.
Très rare exemplaire avec une intéressante triple provenance : Dr Dürhen, Nancy Cunard puis Georges Sadoul.
Le triste destin de cet exemplaire des 120 journées de Sodome maltraité et amputé par les nazis fait curieusement écho à l'adaptation cinématographique de Pasolini "Salo ou les 120 journées de Sodome" (1975), transposant le roman dans une villa du lac de Garde en 1943.